LOS ANGELES. NOVEMBRE 2019.
Nous parlerons ici du Chef d'oeuvre incontournable du cinéma de Science Fiction des années 80, monument du cinéma comme l'a été désigné "2001 l'Odyssée de l'Espace" de nombreuses années après sa sortie : Blade Runner, n'a pas pris une ride en raison d'une très forte intelligence scénaristique et de mise en scène. Resté très longtemps incompris, décrié ou tout simplement oublié, le film du britannique Ridley Scott fait office de pilier fondateur d'un genre cinématographique qui s'exprimera fortement dans la décennie qui voit se développer les premières technologies numériques liées au cinéma. Maintes fois copié, jamais égalé, pas même par le brillant Blade Runner 2049, ce film doit tout à une réalisation excellente. Pourquoi ? Parce qu'il invente un genre, celui du cyberpunk, et développe une impressionnante et terrifiante ambiance sombre et pessimiste, en s'inspirant de l'univers créé par le romancier Philip K. Dick.
Ridley Scott signe, peu de temps après Alien (qui est un autre monument de la SF qui fête son anniversaire en 2019), un film intelligent, émouvant et captivant. Je dis anticipation, car la réflexion développée est d'une pertinence inouïe et possède des échos encore aujourd'hui. La réflexion menée sur la condition humaine, les rapports entre l'homme, la machine, la vie et la mort est rondement menée. La symbolique des décors y est facilement observable, le bestiaire est très pertinent (serpent, hibou, licorne notamment !).
Il a fallu plusieurs décennies avant que Blade Runner ne soit reconnu par la communauté de cinéphiles comme un "film culte". Sa singularité tient sûrement du fait qu'il puise son inspiration dans le monde de Philip Kindred Dick, auteur de "Total Recall", "The man in the high castle" ou encore Minority Report. Publié au milieu des années 1960, "Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ?" demeure la première adaptation cinématographique de l'univers de l'écrivain de SF. Mais pourtant, il s'agit de deux œuvres à part : des divergences sont observables dans l'oeuvre de Scott vis-à-vis de l'oeuvre littéraire. Et le britannique l'affirme lui-même, il n'a jamais lu le livre original...
Le travail de pré-production est monumental, tout comme la création des décors, costumes et maquettes nécessaires au film qui génèrent une ambiance très singulière. Tout ce processus, observable dans les bonus du coffret DVD de 2007 lié au "final cut" laisse entrevoir une main de maître de la part de Scott qui dirige ses équipes de la même manière qu'un chef d'orchestre pourrait diriger ses musiciens.
Et en parlant de musique, cela nous ramène à l'ambiance musicale de Vangelis : sa partition, restée elle aussi longtemps inconnue car non publiée sous la forme d'un vinyle, est absolument planante, l'utilisation de synthétiseurs vient générer un paysage mental fait d'un mélange de rêves, de pensées, nourrissant l'imaginaire du spectateur. Blade Runner est le premier des films de son genre, mais probablement le dernier à être aussi réussi. Les multiples versions n'ont fait qu'accroître, au delà de l'aspect commercial certainement existant, le mythe d'un film puissant et interrogateur... Peut-être cela provient aussi de l'imagination débordante de Philip K Dick à qui le cinéma doit beaucoup d'excellents
films. On ne ressort pas indemne de Blade Runner, et aucun des acteurs n'en est ressorti le même après un tournage difficile, émaillé par de nombreuses tensions entre les acteurs qui livrent quelques répliques célèbres. La meilleur d'entre-elles restera sûrement le monologue final "tears in rain", pure improvisation de Rutger Hauer dont voici un extrait en provenance de Youtube :
Vraiment, la dernière partie du monologue "I've seen things [...] like tears in rain" a été complètement improvisée par le regretté Rutger "Roy Batty" Hauer. Pourtant, ce climax est devenu si culte qu'il est souvent référencé comme la réplique la plus émouvante de l'histoire du cinéma qui compte pourtant un nombre impressionnant de moments déchirants.
Cette réplique est d'ailleurs véritablement emblématique de toute l'atmosphère qui se dégage de ce film. Le Los Angeles de 2019 est infiniment sombre et lugubre, inhospitalier, sale. L'inspiration dans les films noirs des années 1940 est véritablement visible, et un lien avec Le troisième homme de Carol Reed ne serait pas fortuit, dans la mesure où le Los Angeles de 2019 et la Vienne de 1949 sont tout aussi irrespirables et provoquent l'effroi.
Des deux côtés, c'est bien l'homme qui commet l'erreur : la guerre chez Reed, la pollution chez Scott. L'erreur est humaine, mais cela dit irréparable... obligeant à créer des colonies spatiales pour fuir une réalité faite de cauchemar. Les policiers sont vêtus d'uniformes inspirés des forces de l'ordre d'états autoritaires. La nuit est permanente. les bâtiments abandonnés. Les seules lumières sont celles des flammes des usines et des enseignes commerciales abondantes. L'inspiration de Scott avec le Le troisième homme ne s'arrête pas là, si l'on observe correctement les scènes où la luminosité est particulièrement basse.
Entre interprétations et versions multiples...
Le film questionne finalement l'homme dans ce qu'il a de plus essentiel : des émotions, une conscience, des souvenirs. Dans son livre, Philip K. Dick décrivait les androïdes (les réplicants) comme des êtres dépourvus d'empathie, dénués de toute sensibilité. La réelle différence est que Scott a interprété ces machines comme des êtres supérieurs, créés par la main de l'homme, par une poignée de scientifiques dirigés par un certain Eldon Tyrell, à la fois Dieu des machines et père spirituel des réplicants. S'articulant comme une quête d'identité de la part de ces robots dotés d'attributs parfaits (intelligence, habileté, physique, beauté), le film montre les parcours connexes de Rick Deckard, chasseur de réplicants et ces derniers qui, voués à la perfection, découvrent en réalité qu'ils sont dotés d'une date de mort programmée. Ainsi, la réflexion de ces humanoïdes croise véritablement celle des hommes qui, depuis la nuit des temps, cherchent à résoudre l'énigme de leur existence. La portée religieuse s'affirme d'ailleurs si nous poussons l'interprétation plus loin encore : Tyrell, riche magnat et fondateur de la Tyrell Corporation doit être conçu comme l'allégorie de Dieu, et finalement Roy Batty s'en réfère à lui pour lui demander de supprimer sa date de mort. Une chose, aussi impossible qu'elle puisse être, demeure inéluctable afin de limiter les capacités des Nexus-6 et ainsi éviter tout rébellion.
La rencontre entre Rachael et Rick demeure déterminante puisqu'elle pose également la question de la relation entre l'homme et la machine, en même temps qu'il s'agit de poser les bases d'une interrogation sur le rapport entre les souvenirs et l'identité de l'individu. Rachael n'est autre que la plus évoluée des formes de réplicants (Nexus-7). Sa perfection est visible par son intelligence caractéristique, sa beauté (Sean Young, incroyable !) et par le fait qu'elle n'a pas conscience d'elle-même : celle-ci ne comprend pas sa propre essence, se croyant être humaine.
Mais, la rencontre en Rick et Rachael bouleverse cet équilibre et finalement, celle-ci finit par comprendre que ses souvenirs, qui définissaient précisément son être, ne sont que des implants de la vie de la nièce (réelle) de Tyrell. Il s'agit alors de remettre en cause son identité, dans ce qu'elle a de plus profond.
Comment vivre lorsque nos souvenirs les plus enfouis ne sont que des mensonges ? Qui sommes-nous vraiment ? Peut-on se fier à la réalité ? Une chose est sûre, Blade Runner nous montre que nos émotions sont empiriques et le fruit de notre subconscient.
Les interprétations de Blade Runner sont particulièrement nombreuses et il n'est pas difficile de trouver un nombre considérable de théories, en particulier concernant la réelle identité de Deckard : est-il un réplicant ou un être humain ? Si des indices laissent à penser qu'il pourrait être un réplicant, il paraît difficile d'apporter une interprétation définitive.
Les spéculations n'ont fait qu'augmenter les toutes premières version, à commencer par la version de travail (Workprint prototype) présentée à une salle réduite. La version de 1982 contient des scènes absentes des versions suivantes à savoir la toute fin du film : Après que Rick et Deckard prennent l’ascenseur, une ellipse montre leur nouvelle vie paisible. Des vues aériennes contribuent à cette fin optimiste. Celles-ci ne sont autre que les rushes de Shining qui ont été commandés par Stanley Kubrick en 1979 pour agrémenter le début de son film d'horreur. Le perfectionniste qu'il était n'en utilisa qu'une infime proportion, dont une autre partie se retrouva donc dans la version cinéma de 1982 contenant également une voix-off de Rick.
Nous ne retiendrons, parmi les versions possibles, que la dernière : le final cut, composé en 2007. Celui-ci permit alors à Ridley Scott de posséder complètement de sa liberté artistique en ne tenant pas compte des directives qui furent imposées en 1982 pour atténuer la violence, la nudité, les propos outrageux. Dans le final cut, Blade Runner dévoile toute sa beauté et toute son intelligence dans une version complète, la préférée de son réalisateur. Pour l'occasion, le britannique fit refilmer quelques scènes à Joanna Cassidy (stripteaseuse au serpent à écailles), afin de perfectionner le tout. Car Blade Runner, c'est aussi une histoire conflictuelle, délicate et de longue durée...
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