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J'accuse, Roman Polanski (2019)

Photo du rédacteur: ValentinValentin




Histoire, histoires...


Les liens forts qui existent entre la discipline historique et l'art de faire des films sont très importants. Dissocier le fait de "raconter des histoires" et "raconter l'histoire" est parfois très délicat, si bien que de nombreux réalisateurs ont tendance, aujourd'hui encore, à instrumentaliser l'histoire pour en faire le point de départ d'un film où la fiction jette un voile mensonger sur une réalité pourtant essentielle. Quelques réalisateurs nous ont démontré le contraire. Réalisateur en fin de carrière, perclus par les affaires judiciaires, le franco-polonais présente au grand-public sa dernière réalisation relatant en détails l'affaire Dreyfus qui secoua la capitale sous la Troisième République et qui fait tristement écho à son propre passé d'homme. S'agit-il d'une mise en scène de la réalité, où d'une reconstitution historique digne de ce nom ?

Attention : Compte-tenu du contexte, précision qu'il s'agira dans cette critique d'analyser le film sous le prisme seul et unique de l'histoire et du cinéma, sans émettre quelconque jugement sur les affaires judiciaires en cours, en tentant d'analyser le film en tant qu'oeuvre de cinéma.


Les faits


1894. La France, dans l'Europe des nationalismes montants, fait face à l'une des plus grandes crises depuis la proclamation de la Troisième République il y a vingt-quatre ans. Le Boulangisme, l'antisémitisme, l'anarchisme sont parmi les menaces les plus grandes. Ce climat de tension est d'autant plus important, que le traumatisme de la défaite de 1870, pourtant lointain, est toujours vif. De l'autre côté du Rhin, c'est l'ennemi ultime de la France qui a établi ses quartiers, et qui annexa en 1871 l'Alsace-Lorraine. Au sein-même de l'armée, l'esprit de revanche est considérable, imprégnant les sphères radicales, jusqu'au sommet de l'Etat, et alimentant les nationalistes les plus durs, prêts à en découdre avec quiconque s'opposerait à la suprématie française, la Nation, la République, ses symboles, ses valeurs.

Au sein de l'armée, la peur de la trahison est omniprésente, alors que les cadres militaires se préparent à riposter d'une manière toujours plus violente en cas d'attaque prussienne. Cet épais brouillard, voilant la vue de toute une société, l'amène à croire en la menace juive. Un artilleur de confession juive est accusé d'intelligence avec l'ennemi : soldat émérite, sans aucun antécédent, Alfred Dreyfus est arrêté, dégradé le 5 janvier 1895, puis emprisonné. En cause, un bordereau, transmis par une femme devenant l'unique source d'informations au commandant Henry, confondant vraisemblablement l'homme.

Le dossier de preuve est mince, quasi inexistant mais, de là, la machine judiciaire, aux frais d'un corps d'armée et d'une république aveuglée par une aversion envers l'accusé, s'abat tour à tour sur quiconque tenterait de disculper l'homme qui aurait transmis de précieux renseignements aux allemands. Pourtant, Marie-Georges Picquart, Commandant d'Infanterie, aux rapports de services excellents, est nommé chef des Services de Renseignement, nouveauté de la fin de ce siècle. Les méthodes de ce pan du gouvernement sont tenues secrètes, si bien que leurs travaux sur l'Affaire Dreyfus, à l'arrivée de Picquart, peu après le simulacre de procès, sont cachés et connus que d'un cercle restreint. Le militaire doutant de la culpabilité de Dreyfus, enquête à contre-courant d'un scandale déjà bouclé et dont les remous pourraient provoquer une seconde affaire. Les cadres de l'armée, Auguste Mercier (général de la guerre), du Paty de Clam (responsable de l'arrestation de Dreyfus), Alphonse Bertillon (spécialiste de l'écriture et inventeur de la théorie de l'autoforgerie de Dreyfus), le général de Boisdeffre... refusent une seconde affaire. Mais ce n'est pas le cas. Il s'agit bien, en 1895, de la même affaire, mais dont les preuves sont une à une démontées par Picquart, qui finit par découvrir le vrai traître : Ferdinand Walsin Esterhazy, ancien contre-espion, entretenant des liens avec le Commandant Henry et avec l'ennemi allemand. Mais, alors que la vérité est difficile à accepter, Picquart se retrouve lui-même l'objet de complots menant à sa propre arrestation, sa confrontation en duels, frôlant la mort plusieurs fois. A l'aide d'Emile Zola, du frère d'Alfred Dreyfus et de Joseph Reynach, le cercle de défense de Dreyfus se met en place.

En 1898, l'illustre écrivain Emile Zola publie dans le journal L'Aurore "J'accuse !", lettre ouverte adressée au président Félix Faure. Condamné pour diffamation, son aide sera néanmoins l'un des tournants majeurs de cette affaire qui dure de longues années. Après de nombreuses révisions du procès, la cassation du jugement de 1894, la nouvelle condamnation de Dreyfus, la mort de Zola en 1902 et la chute progressive des véritables coupables (dont Henry, auteur du fameux faux petit bleu dit "faux henry", ce n'est qu'en juillet 1906 que l'accusé est réintégré partiellement dans l'armée, tandis que Picquart subit le même traitement, devenir ministre de la Guerre du gouvernement de Georges Clemenceau.



Le film


Allons y franchement : le traitement de l'affaire par Roman Polanski fait preuve d'une exemplarité tout à fait exceptionnelle quant à la restitution des faits historiques. Ayant adopté de suivre le parcours du Marie-Georges Picquart et son long parcours vers la vérité, Polanski fait surtout office de véritable historien par le biais d'un réel sens de la narration et de la mise en scène, compte-tenu de la complexité notoire de cette affaire. C'est notamment grâce au livre de Robert Harris "D." que le scénario tient la route et restitue les faits dans leur intégralité.


Si très peu de tentatives ont été concluantes quant à une restitution cinématographique de l'affaire Dreyfus ont été concluantes, il ne fait pas de doute que celle-ci demeure particulièrement réussie. Polanski, faisant appel à quelques-uns de ses amis (Hervé de Luze, Pawel Edelman notamment, a su s'entourer des bonnes personnes pour réussir ce film.


Voici quelques points allant dans le sens d'un bon travail de réalisateur :


  1. Le respect scrupuleux des faits historiques, des acteurs jusqu'aux détails les plus pertinents est tout à fait honorable. On appréciera en particulier la grande précision des informations données, la justesse de leur mise à l'écran. Rien n'est exagéré, mais cela semble très crédible.

  2. La scène d'ouverture capte l'attention du public : Il s'agit, certainement, de la scène la plus célèbre de l'affaire nous ayant été parvenue par le biais d'une gravure : la dégradation, devant 4000 soldats et plusieurs milliers de badauds, de l'officier Dreyfus, qui voit ses insignes retirés et son sabre brisé en deux, jonchant désormais sur ce pavé parisien ayant été d'avantage noirci par le mensonge que par la pollution.

  3. La reconstitution des décors était l'un des points les plus capitaux, car il s'agissait aussi de transposer à l'écran une époque, un climat, une atmosphère. Un grand soin des costumes, tous très beaux, des décors et des ambiances a été apporté et contribue à la réussite de ce film. Y compris à l'arrière plan, il se passe des choses à l'écran. Ce Paris de la fin des années 1890 n'est pas vide, mais justement une vraie fourmilière d'idées et d'individus.

  4. La narration non linéaire, fait de nombreux retours en arrière permettant d'expliquer précisément l'affaire. Si le film commence par la dégradation en 1895, c'est le parcours et les souvenirs de Picquart qui permettent de progressivement décomposer cette image mensongère dont il a été l'un des artisans, pour rétablir une vérité nécessaire à ses yeux.

  5. Les images sont particulièrement soignées. Certaines sont marquantes. La scène du duel entre Picquart et Henry, les procès, l'appartement de Picquart et sa maîtresse, sont autant d'éléments prônant une intelligence artistique.

  6. A propos du duel entre les deux hommes, notons le grand symbolisme de celui-ci, justement explicité dans le film : c'est par le fer de cette épée brisée par l'injustice, que Picquart blesse celui qui est le véritable auteur de la trahison.

  7. L'expérience de Polanski en matière de réalisation est visible, grâce à une complexité de la mise en scène et un goût réel du détail et de la perfection.

  8. Les acteurs sont presque tous convaincants. Jean Dujardin tient très bien son rôle, Louis Garrel est méconnaissable en Dreyfus. On notera dans certains cas la ressemblance assez frappante entre les interprètes et les vraies personnes impliquées dans l'affaire. La présence de comédiens issus de la Comédie Française se fait sentir.


Néanmoins, on pourrait regretter plusieurs éléments qui somme toute sont assez fondamentaux :


  1. La trop grande présence à l'écran de Picquart, hissé en véritable héros dreyfusard. Bien que sont rôle ait-été absolument déterminant, l'omniprésence de Jean Dujardin pourrait nuire au film. Peut-être aurait-il fallu varier les points de vue, observer les choses de l'intérieur, se pencher sur l'état d'esprit d'Alfred Dreyfus dont ont ne voit que quelques aspects comportementaux.

  2. Si le tournant "J'accuse" est bien présenté, la très légère présence d'Emile Zola à l'écran est regrettable. Visible seulement deux fois (dans un café, où il rencontre Picquart et à son procès pour diffamation), l'écrivain français aurait certainement mérité bien plus.

  3. Le manque de conviction d'Emmanuelle Seigner, femme de Polanski, laisse peut-être un goût amer.

  4. En présence d'Alexandre Desplat à la musique, la quasi absence de bande-son est assez surprenante. Le fond sonore se fait rare. Mais cela n'est-il pas voulu ?

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