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Joker, Todd Philips (2019)

Photo du rédacteur: ValentinValentin

Dernière mise à jour : 16 oct. 2019



Au terme de sa longue attente, le nouveau film de Todd Philips est arrivé dans les salles françaises. Relecture sombre et dérangeante du personne culte de DC Comics, Joker se hisse au rang des plus grands films de son genre sans aucune contestation possible. Difficilement classable dans une catégorie bien définie, ses influences certaines et le registre développé dès les premiers instants laissent à penser que le super-vilain le plus adoré de la planète incarne une réalité bien ancré dans notre société contemporaine. Fier de nombreuses qualités et d'une interprétation exemplaire, Joker est, pour le moment, l'une des plus grandes réussites cinématographiques de cette décennie. Voici donc, mon avis sur cette oeuvre. Attention, spoilers !


Un sociopathe dans une société malade


En plusieurs décennies, la ville de Gotham a souvent changé d'apparence. Mais jamais celle-ci ne ressemblait aussi fidèlement à une mégalopole américaine cruellement divisée entre classes. D'un côté, les plus riches. De l'autre, les bas-fonds, sombres, lugubres, aux rues jonchées de détritus, humides. C'est dans cet habitus bourdieusien que Arthur Fleck, atteint d'un handicap, vit avec sa mère. Celui qui veut vouer sa vie à faire rire les gens se sacrifie chaque jour durant pour obtenir de quoi vivre. Survivre. De quoi nourrir sa mère aigrie et au passé tortueux. De quoi payer les factures d’électricité pour regarder la télévision des journées durant. C'est au sein d'une société aliénée que vit Arthur Fleck. Mais lui, n'est pas comme les autres.


Victime d'une société ultraviolente, raciste et ultra-capitaliste, Arthur n'est qu'un homme parmi les autres. Lorsqu'il se maquille, il n'est que le clown d'une société de pantins. Lorsqu'il délace ses chaussures aux bouts ronds, il n'est qu'un homme presque comme les autres, à la seule exception que son rire, incontrôlable, fait de lui un individu particulièrement malaisant et mal-aimé.

De son passé, Arthur ne tire que des sévices et des malheurs. Son profond mal-être, ses idées sombres, ne sont que le reflet d'une existence passée à subir les coups de sa mère ayant séjourné pendant plusieurs années à l'hôpital de Gotham. Arthur ne connaît pas même ses origines. Croyant être le fils de Thomas Wayne, se berçant d'illusions, il ne s'avère être que le simple fruit d'une malencontreuse adoption de la part d'une mère instable et dangereuse.

Terré dans ses idées et dans son taudis au pièces étroites et sentant le tabac froid mélangé, Arthur entame un profond cheminement psychologique dont le seul ressort demeure l'anéantissement de ses entraves. Arthur, esclave de cette société, souhaite abolir l'esclavage des consciences et des mentalités pour parvenir à ses fins. Peu importe s'il s'agit de semer la mort. Il s'agit de redonner le sourire à Gotham, quitte à dessiner celui-ci avec le sang de ses victimes. Voilà qui résonne finement avec l'histoire même de nos sociétés contemporaines.


Cette ville dystopique aux allures d'un New-York des années 70-80 est l'incubateur de la violence, la matrice de l'insanité. Franchir les barrières qui sont solidement établies entre les plébéiens et les illustres hommes n'est pas toujours aisé, à l'image de l'humble demeure de Thomas Wayne, sertie de barreaux confinant les citoyens dans une prison sociale, candidat aux élections municipale et au discours démagogue parfaitement rôdé, mais aussi la barrière de la télévision, plafond de verre qu'Arthur finira par franchir en apothéose, en commettant l'acte cathartique par excellence, la mise à mort du présentateur sacré, l'évaporation de tous les rêves.


Joker, film brûlant et profondément ancré dans la société contemporaine


Bien au-delà de tous les films de super-héros réalisés jusqu'à maintenant, Joker franchit toutes les barrières pour s'affranchir du genre et devenir un film psychologique au message puissant et particulièrement évocateur. Derrière cette société déchirée, ce parcours rédempteur et vengeur se trouve un écho particulièrement vibrant à des éléments qui sont contemporains au spectateur. Qu'il s'agisse de l'élection de Donald Trump, de la montée en des idées populistes ou de la haine contre les plus grandes richesses du globe, Joker mobilise avec une grande pertinence tous ces éléments.

Ils servent à la gradation psychologique du personnage et permettent d'introduire un contexte général profondément terrifiant et perturbant. La société est pourfendue par les injustices sociales, et Arthur Fleck, alias Le Joker se fait le lanceur d'alerte d'un monde en déclin. Faut-il y voir un échos à la chute du modèle américain des années 1980 - en référence à Martin Scorsese - ou faut-il interpréter cela d'une manière plus actuelle ? Sans conteste, la seconde option paraît la plus pertinente. Arthur, agressé, humilié en direct à la télévision et réduit à son statut d'handicapé mental, veut en finir avec cette danse macabre de marionnettes qui ternissent son quotidien. Pour de bon. Ils ne savent pas rire.



Joker ou le pari fou d'Hollywood


Face à un tel film, difficile de ne pas repenser à tous les précédents opus des aventures de Batman où le personnage du Joker, campé par Jack Nicholson et Heath Ledger, incarne un vilain déroutant. Mais c'est justement là le pari complètement fou des studios de production : Joker crève littéralement l'écran et vient rompre avec tout ce qui a été fait auparavant. Il sonne la mort de Batman. De Wayne. Il réintroduit le genre du film dramatique dans le box office mondial, ce genre de films trop sérieux pour être apprécié par le commun des mortels. Joker s'affranchit des contraintes imposées par Disney dans les films Marvel, aseptisés et bardés d'effets spéciaux, pour donner au spectateur un film total, d'une puissance immense et sans aucun détour. Mais, pour Hollywood, cela correspond à un pas de géant, alors que celui-ci est souvent bâillonné pour des raisons économiques et aussi politiques. Plus que jamais, Joker met en scène une violence symbolique ou l'acte est commis non par pour sa violence mais pour son côté cathartique. Il invite le spectateur à réfléchir sur son conditionnement, intervenant comme le miroir d'un monde malade, souffrant, meurtri. Mais, il indique aussi qu'au fin fond des ténèbres, la lumière est toujours-là. Les dernières images de Joker sont d'un éclat infini, d'une blancheur éclatante. Tout reste encore possible.


Une mise en scène exemplaire


L'autre grand point fort de ce film demeure sa mise en scène qui est une véritable leçon de cinéma, y compris pour les cinéphiles les plus avertis. Todd Philips, pourtant habitué aux films plus comiques, avait pris un tournant considérable dans sa carrière quelques années plus tôt. Mais il signe là le chef d'oeuvre de sa carrière, tant le style est soigné, pour atteindre le rang de maître. Les influences sont certaines et assez facilement observables tout au long du film. Certaines sont clairement énoncées, d'autres moins. On retiendra plusieurs (grands) films ayant participé à la construction de l'oeuvre. D'abord, Taxi Driver, qui constituait, déjà à son époque, un puissant message Nouvel-Hollywoodien porté avec brio par un Robert de Niro habité. On notera d'ailleurs l'excellent face à face entre De Niro et Joaquin Phoenix, sorte de passage de flambeau rondement mené. Puis, nous y voyons, toujours du côté de Scorsese, un air de Mean Streets, Raging Bull, La valse des pantins. L'ambiance le fait sentir, humide, sale, instable. On ne sait jamais vraiment à quoi s'attendre au fil des scènes. La mise en place de cette violence, rendant presque attendrissant le personnage du Joker, fait remarquablement penser à Orange Mécanique de Kubrick, autre chef d'oeuvre du genre. Les plans-séquences, le travail de la caméra, la création des décors et la mise en place de l'atmosphère générale du film, incroyablement malsaine et perturbante sont tout à fait réussies. C'est, là aussi, un point très positif à souligner. Il ne faudrait toutefois pas négliger la présence très importante de la bande-originale, composition d' Hildur Guðnadóttir, qui ne se contente pas de produire des sons puissants à l'aide de ses cordes pour satisfaire un besoin de violence auditive. Il s'agit avant tout, pour la compositrice irlandaise, d'accompagner certaines scènes visuellement très évocatrices ou qui parfois suggère l'évolution psychique du Joker en accentuant au possible l'aspect psychologique de ce "thriller dramatique". Le choix des instruments, de la bande-son complémentaire (plusieurs morceaux célèbres viennent ponctuer le film) est impeccable. C'est, pour moi, un réel sans faute sur ce point-là.


Joaquin Phoenix, au sommet ultime de son art


Le meilleur pour la fin demeure bien entendu l'interprétation de Joaquin Phoenix dans la peau du Joker. Si les spectateurs avaient déjà pu apprécier la prestation de Jack Nicholson ou Heath Ledger, il s'agit là d'un travail de grand acteur, de grand interprète. Sans aucun doute, il permettra Phoenix de remporter un oscar. Habité par son rôle, dont le sacrifice à payer était une transformation physique particulièrement importante et nécessitant beaucoup de travail, Joaquin Phoenix s'oublie pour n'être que le Joker. Le spectateur oublie l'acteur pour ne voir que le Joker. C'est tout à fait impressionnant et magistral de la part de celui qui m'avait déjà beaucoup impressionné dans le biopic sur Johnny Cash mais aussi Her. Le rire du joker glace le sang à chaque instant du film et son apparente instabilité psychologique font basculer la pellicule dans la folie la plus complète, emportant tout sur son passage. Sans surjouer ni trop insister sur la question de son handicap, Joaquin Phoenix maîtrise parfaitement son rôle, taillé pour lui, qui restera probablement comme la meilleure interprétation de sa carrière. Il est accompagné par un toujours très en forme Robert De Niro que l'on apprécie dans son rôle de présentateur télévisé aux incessantes blagues de col blanc narcissique et moqueur.

Tout en finesse et en subtilité, Phoenix séduit et inquiète réellement le spectateur.


Comment conclure sur ce présent review ? Si ce n'est que Joker, grand moment de cinéma, inflige une puissante claque au spectateur en l'invitant à réfléchir sur sa condition d'homme moderne. C'est grandiose, et cela restera très certainement l'un de mes films coups de cœur. Chapeau. Souriez, vous êtes en société.





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