L'histoire vraie du pianiste Władysław Szpilman lequel fut confronté à l'horreur au sein du ghetto de Varsovie : Le Pianiste, où le triomphe de la mémoire incarnée à travers des souvenirs transposée à l'écran par le franco-polonais Roman Polanski.
Histoire de l'horreur
A l'ouverture des camps de la mort, dont notamment celui d'Auschwitz-Birkenau (Konzentrationslager Auschwitz) , ce fut au tour de l'horreur, de l'inconcevable, de prendre le pas sur des années de conflit et d'incertitude quant à ce qui pouvait bien se trouver à l'intérieur de ces lieux où la mort régna en maître, suite à la volonté du Führer et de ses bras droits : la solution finale à la question juive. Ce que virent les troupes allait au delà de toute imagination, de tout pensée aussi noire que l'homme en est capable.
A la suite de cette période sombre de l'histoire de l'humanité, les années 1950 furent celles du déclenchement d'un processus délicat : le devoir de mémoire. Comment parler de ce qu'il s'est passé ? L'Europe, en pleine reconstruction tant physique que psychologique, devait exorciser ce qui la traumatisait le plus. Il fallait, pour certaines nations, certains responsables, passer aux aveux. Si ces premiers temps furent celle d'une histoire à tâtons ne procédant pas un bouleversement des consciences face à un fait acquis mais encore brûlant, le réveil progressif des consciences (probablement post-68) et l'émergence de l'idée d'un devoir de mémoire se fit sentir, celui d'un poids des consciences collectif face à un fait odieux mais irréparable. A défaut de tirer un trait sur un passé lourd, il s'agissait plutôt d'appliquer un pansement cathartique. Il fallait en parler. En 1963, Hannah Arendt parlait du procès Eichmann (la banalité du mal). En 1973, lorsque l'historien Robert Paxton publie La France de Vichy, ce dernier bouleverse la lecture traditionnelle qui est faite du régime de collaboration, en affirmant que les pétainistes allèrent au delà même des directives allemandes, en adhérant corps et âme au projet énoncé. L'Etat souhaite pourtant bien estomper ses responsabilités liées à la Shoah.
Outre la littérature, les images frappent davantage. Une image vaut mille mots dit l'adage qu'il est commun d'utiliser : en 1956, le Comité d'histoire de la Seconde Guerre mondiale commande à Alain Resnais, lequel a déjà réalisé un certain nombre de courts et moyens métrages, l'inoubliable Nuit et Brouillard. En 1985, Claude Lanzmann propose au grand public le récit de l'extermination des juifs et de la déportation à travers Shoah, un travail immense compilant images des camps et témoignages de rescapés. Petit à petit, le cinéma affirme son rôle, celui d'être l'initiateur d'un éveil des consciences, jetant un regard impitoyable sur l'histoire, le passé. Nécessaire ? oui, le cinéma l'est. Son rôle s'affirme davantage encore lorsque le réalisateur américain Steven Spielberg fait de La liste de Shindler l'un de ses projets les plus audacieux et les plus émouvants jamais réalisés, en faisant de cette entreprise cinématographique un travail de compilation de derniers témoins de l'abomination nazie à l'échelle du monde entier.
Le siècle noir ainsi passé, voilà que Roman Polanski décide de mettre sa propre expérience au service du chemin mémoriel engagé des décennies plus tôt, après avoir refusé de filmer l'oeuvre de Spielberg. Il s'agit pour lui de relater tant ses souvenirs au sein du ghetto de Cracovie où il vécut durant la guerre, mais aussi ceux rédigés par un pianiste au tragique destin, dont le talent fut censuré par les autorités totalitaires. Voilà que Le Pianiste, intervient quasiment comme l'ultime film sur la Shoah. Ce qu'il relate (l'enfer du ghetto de Varsovie), est d'une dureté impitoyable. La manière dont les faits sont exposés est exceptionnelle de sincérité et l'interprétation d'Adrien Brody laisse les larmes monter aux yeux.
L'analyse
Il n'y a rien à dire sur la trame narrative de ce film, et je ne m'aventurerais pas dans les sinueux chemins de la critique subjective quant à la manière dont les faits sont exposés, et je m'interdis toute critique de l'oeuvre de Roman Polanski, dont les qualités de cinéaste font de lui l'un des meilleurs de la période contemporaine. Incontestablement avec Le pianiste, Polanski nous montre sa capacité de travailler sur bien des registres. Son travail concernant le film historique est tout simplement remarquable. Le travail du réalisateur et de ses équipes est incisif, brutal et émotionnellement puissant, quant à la volonté de reconstituer tant l'atmosphère pesante, lourde et opressante de Varsovie, comme si chaque minute faisait que les murs et les barbelés se resserraient autour du jeune prodige du piano. Les décors sont eux aussi d'une grande qualité, et la volonté de mettre en scène certains passages déchirants ayant réellement existés et dont seul les images en noir et blanc ont permis leur visualisation est louable. D'une blessure profonde, Roman Polanski tire un récit profond et humaniste sur le destin d'un homme mort seulement deux ans avant la sortie du film en salles, un homme dont la vie explicite avant tout ce processus de déshumanisation dont furent victime des millions d'individus.
Que dire de l'interprétation d'Adrien Brody ? Celle d'une carrière. Amaigri, les traits tirés et le visage fermé, le jeune américain se prête impeccablement aux traits de celui qu'il incarne. Quelle responsabilité immense ! Loin de le tourmenter, sa préparation physique et psychologique rigoureuse lui permit de prendre son rôle avec un grand sérieux.
En résulte, pour Le pianiste, une grande réussite critique et populaire, et dont la pluie de récompense accrût considérablement le prestige de la carrière d'un réalisateur tourmenté depuis sa plus jeune enfance.
Personne ne peut rester insensible devant cette oeuvre de grande qualité, et dont l'honnêteté en fait un film singulier. Avec La liste de Schindler, il s'agit pour moi - en dehors des précieux documentaires - des deux oeuvres cinématographiques de référence, et dont le pouvoir pédagogique reste encore puissant, à l'heure de la commémoration de la Libération du camp d'Auschwitz-Birkenau, ce 27 janvier 2020.
Comments