L'un des plus beaux duos du cinéma contemporain rayonne à travers ce film singulier, mélancolique, presque dépressif et particulièrement touchant réalisé par la fille de Francis Ford Coppola (Virgin Suicides).
Synopsis
Bob (Bill Murray), cinéaste sur le déclin, part au Japon faire la promotion d'un Whiskey pour la somme de deux millions de dollars. Laissant derrière femme et enfants, engagé dans un mariage long de 25 ans et qui s'essoufle, il passe le plus clair de son temps dans un hôtel, seul. Perdu au milieu d'une culture qu'il ne connaît pas, qu'il n'apprécie pas et dont il ne comprend pas le moindre mot, il fait la connaissance de la jeune Charlotte (Scarlett Johansson), mariée depuis deux ans seulement à un photographe venu au Japon faire quelques shootings. N'ayant d'apparence rien en commun, les deux vont vite découvrir que le désir d'une vie différente de la leur est un véritable point commun. Petit à petit, les deux se rapprochent, parcourant leurs souvenirs, au gré de la découverte d'une culture diamétralement opposée. Lost in translation est la revanche sur la vie de deux individus mus par des sentiments indicibles et particulièrement puissants, ne se reconnaissant pas dans ce qu'ils voient.
Analyse
Très rapidement, les images de Lost in translation sont frappantes de sens et ne laissent guère la place à une quelconque divagation. Un Bill Murray en cinéaste vieillissant, désorienté, se découvrant lui-même sur les billboards de Tokyo - de nuit - en train de faire semblant de déguster du Whisky qui n'est rien d'autre que du sirop de pêche. Une cage d'ascenseur où ce Bob Harris fait deux têtes de plus que tout le monde. Un shooting photo où le photographe émet quelques tirades traduites par une interprète prenant légèrement Bob pour un imbécile... Pourtant, Lost in translation est un film vaporeux, doux et calme, réflexif sur, peut-être, le sens même de la vie. Il y a de ces journées, de ces moments où l'on ne se sent pas à sa place, pas dans son assiette où, à force de trop penser, l'on se demande vraiment si la réussite ne tient qu'à l'argent. De cette réussite sociale exprimée chez Bob, réalisateur fortuné a qui le bonheur ne tient plus à rien, mais aussi chez Charlotte qui, confortablement mariée, croit être heureuse, attachée à un mari lâchant des "je t'aime" réguliers. Pourtant, il y a bien chez ces deux individus, qui se font les dignes représentants d'une société où les sentiments sont de manière permanente mis de côté au profit de la réussite sociale et professionnelle, une réelle volonté de découvrir le vrai bonheur.
De fil en aiguille, il y a d'abord ce jeu de regards admirable, ce jeu d'acteur chez Bill Murray particulièrement touchant de sincérité, cette jeunesse presque immaculée chez Scarlett Johannsson fascinante. Perdus dans une culture, dénués de tout repères, livrés à eux-mêmes car seuls, ils doivent évoluer dans une société de l'excès et de l'outrance. Bien que entourés par une foule immense, ces deux individus se sentent désespérément seuls, aux prises avec une insomnie quasi quotidienne. Lorsqu'ils sortent de l'hôtel, un jargon de syllabes incompréhensibles les accable. Pourtant, au coeur de ce désert, une virée nocturne les fait découvrir de nouvelles facettes d'eux-même, se livrant à toutes sortes de choses, karokés, discussions improbables dans un Tokyo illuminé de mille et unes couleurs nocturnes.
"Il suffit de se dire qu'on dort presque un tiers de sa vie, ça fait déjà six ans de moins à tirer, ce qui nous ramène à dix-huit ans et des poussières. On est encore dans l'adolescence du mariage, on a l'âge de conduire mais y a toujours le risque de l'accident." Bob
De ce couple se génère une alchimie hors du commun et tout simplement magnifique. Bill Murray et Scarlett Johansson forment un couple où les sentiments paraissent si forts qu'aucune parole n'est nécessaire : tout est dans le regard. Quelques longues secondes ponctuent leurs entrevues où Sofia Coppola, laissant une grande liberté dans le travail de ses acteurs, choisi de laisser la place à l'absence de toute réplique.
Finalement, Tokyo apparaît comme le terrain de l'inconnu pour Bob et Charlotte, mais aussi celui de la découverte : en plus de découvrir une nouvelle culture, ils se découvrent eux-même, s'ouvrent sur leur moi-intérieur enfermé depuis des années dans des certitudes dénuées de tout sens réel. Telles deux fleurs qui s'ouvrent doucement au sens de la vie et avec beaucoup d'humilité et de respect, Lost in translation est une réflexion humaniste sur l'ébranlement des apparences et des illusions à propos de nous-même. C'est brillant. Sofia Coppola fait de la mélancolie le thème principal de cette comédie romantique époustouflante de qualité et qui ne laisse certainement pas indifférent à la fin, sorte de conclusion ultime à la rencontre de deux âmes perdues qui se rencontrent dans un contexte singulier. Pourtant doté d'une esthétique simple, Lost in translation évolue dans le contexte urbain de Tokyo, ce qui lui confère également un cadre réussi : le film est ponctué de belles images, d'une belle photographie, de cadrages soignés et raffinés.
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