A juste titre considéré comme l'un des plus grands films de l'histoire du cinéma américain et mondial, Taxi Driver est, à bien des égards, certainement le long métrage le plus inspirant de nos jours, à en croire le regain d'intérêt généré depuis de nombreuses semaines. De sa réalisation à son interprétation, l'oeuvre fascine et émerveille tant elle a su s'entourer d'une aura protectrice depuis sa sortie en salles couronnée d'une Palme d'Or à Cannes, mais aussi et surtout parce que ses nombreuses qualités ont contribué à sa renommée internationale. Retour sur le monument Taxi Driver.
Le scénario....
Travis Bickle, ancien Marine et vétéran de la guerre du Vietnam est un homme qui, au fond de lui, n'a jamais trouvé de sens à sa vie.
Logeant dans un très modeste appartement vétuste et sentant le moisi, Travis vit de rien. C'est dans un New-York poisseux et à l’atmosphère tendue que ce jeune homme conduit des taxis. Les rues de NY, il les connaît par cœur. Des clients, il en voit de toutes les sortes. Élevé à la culture aliénisante de la télévision, des publicités et des films pornos qui sont ses seuls divertissements, Travis n'est jamais sûr de lui, maladroit, se sentant méprisé de toute une société dans laquelle il ne se reconnaît pas.
Toute ma vie j’ai été suivi par la solitude. Partout. Dans les bars, les voitures, sur les trottoirs, dans les magasins… partout. Y’a pas d’issue… j’suis abandonné de Dieu.
Plus le compteur de son taxi tourne, plus les portes de sa voiture s'ouvrent et se ferme, et plus Travis a le sentiment que la société se dégrade, pervertie, avilie par quelque déchets qu'il conviendrait d'éradiquer. Parmi les vices les plus affables de la société, la politique est sans doute l'un des plus grands et des plus à même de faire croire mondes et merveilles à tout un chacun.
Pourtant, lorsque Travis croise la route de Betsy, assistante du sénateur Charles Palantine se présentant aux élections, il croît avoir trouvé là la perle rare. Mais, une fois de plus, le jeune insomniaque ne sait pas s'y prendre et la rupture entre une société de paraître et un Travis incompris se fait sentir plus que jamais. Sa mission, il l'a comprise. Partant à la quête de sa propre identité et de l'identité d'une société en péril, le jeune homme se lance dans une mission cathartique et rédemptoire. A l'aide de son arsenal d'armes à feu flambant neuf, sa vie prend un autre sens radicalement différent. S'entraînant au maniement des armes, Travis n'a plus d'autre choix que d'assassiner tous ces donneurs de leçon et tous ces moralisateurs incarnés à travers la figure du sénateur Georges Palantine. Sa vaine tentative d'assassinat l'amène à se raccrocher à une prostituée adolescente soumis à de terribles geôliers faisant d'elle l'esclave de son propre corps. Alors, pris d'affection pour cette enfant en qui il y voit un peu son propre miroir, jeune fille qu'il avait déjà croisé dans son taxi et qui s'apprêtait à offrir son corps à un misérable salaud, il se persuade à la tirer d'affaire en liquidant tous ceux qui l'entourent. Mais au prix...de sa propre vie ?
Mon point de vue...
Taxi Driver est un film à la teneur psychologique particulièrement prégnante, et il n'y a pas d'interprétation simple quant aux agissements du jeune Travis incarné par un transfiguré Robert de Niro. Sur un scénario de Paul Schrader, scénariste de grande qualité (Raging bull, la dernière tentation du Christ...), Scorsese signe là un véritable bijou de mise en scène. Les inspirations du film sont nombreuses et prestigieuses : Bresson, Fassbinder, Ford, Godard. En particulier, le premier (Robert Bresson, Le pickpocket, 1959) fait office de "maître à filmer" dans la mesure où l'itinéraire si perturbé de Michel fait particulièrement penser à celui de Travis, mais aussi à la manière dont celui-ci est filmé au quotidien. Les inspirations stylistiques sont tout aussi considérables et appréciables.
Il en résulte une photographie particulièrement marquante, et l'une des plus réussies de l'histoire du cinéma. Il tenait à cœur à Martin Scorsese de restituer un New-York sale, violent et âpre, rompant avec les clichés habituels d'une ville accueillante, une vision qu'il poursuivra dans A tombeau ouvert, en 1999. Au delà du film, le message est poignant et synonyme d'avertissement sur le devenir d'une société post-hippie : le Nouvel-Hollywood "tardif" est parfaitement incarné par Taxi Driver, prenant des libertés artistiques considérables et ayant frôlé la classification X. C'est d'ailleurs cette portée narrative particulièrement efficace, combinée à d'impressionnantes qualités de mise scène qui parvint à convaincre le jury de Cannes présidé par l'écrivain Tennessee Williams. A côté de Taxi Driver, certaines grandes pointures venaient y présenter leur nouvelle création, parmi lesquels on comptait Eric Rohmer, Wim Wenders, Jean Rouch, Roman Polanski, Joseph Losey et encore Mauro Bolognini.
A côté du talent montant de Martin Scorsese, qui signait là son cinquième long métrage après le puissant Mean Streets (première collaboration entre De Niro et le réalisateur), il faut noter la capacité d'interprétation des comédiens. Si De Niro signait-là l'un de ses films les plus appréciés et l'un de ses rôles les mieux travaillés de toute sa brillante carrière, l'oeuvre révéla au public la jeune Jodie Foster, mais porte aussi sur le devant de la scène la belle Cybill Shepherd ayant commencé sa carrière cinq ans plus tôt dans La dernière séance (voir review sur le blog). Robert de Niro excelle dans son rôle, capable de répliques puissantes, parfois-mêmes improvisées et gravées au panthéon des répliques cultes du cinéma " you talkin' to me ?". Son investissement général est tout simplement exemplaire. Lui qui fut employé par une compagnie de taxi new-yorkaise pendant plusieurs semaines afin de travailler le rôle à la perfection...
Enfin, et non des moindres, la bande son aux notes jazzy de Bernard Herrman est tout-à-fait agréable, et accroît considérablement cette sensation de précaire équilibre chez Travis comme New-York dans son ensemble...
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