Afin d'inaugurer la section "portraits" de ce site, j'ai choisi de me pencher sur un réalisateur qui tend à être de plus en plus connu : il s'agit du canadien Denis Villeneuve, réalisateur des années 2010 et particulièrement connu pour son sombre thriller Prisoners, son cyberpunk-planant-existentiel Blade Runner 2049 et son métaphysique-philosophique Premier Contact.
Pourtant, il est dommage de résumer son oeuvre à si peu de choses. Réalisateur incompris, moins populaire que son jeune compatriote Damien Chazelle (Whiplash, La la land), Denis Villeneuve est en réalité un réalisateur particulièrement ambitieux dont la carrière prend un tournant capital avec son entrée dans le monde d'Hollywood avec Prisoners. Désormais adepte des blockbusters à effets spéciaux, le réalisateur a notamment proposé Incendies en 2010 (disponible sur Netflix), véritable pépite dramatique narrant une quête d'identité à la suite du décès d'une mère de famille au Canada, originaire du Proche-Orient. Loin s'en faut, la carrière du cinéaste de 51 ans est particulièrement éclectique, mais elle a pris depuis quelques années un tournant fictionnel et philosophique particulièrement intriguant qui est loin d'être terminé puisqu'il proposera bientôt une nouvelle version de Dune, suite à l'échec de l'étrange version de David Lynch en 1984.
Ainsi, j'essaierai ici de faire le tour de son travail en prenant ses films les plus importants.
Denis Villeneuve, un attrait considérable pour la nature humaine
Si considérer Denis Villeneuve comme un Stanley Kubrick des années 2010 serait beaucoup trop osé, force est de constater que son génie semble parfois s'en approcher, sans jamais l'égaler néanmoins. L'un des thèmes préférés du réalisateur demeure la nature humaine. L'ensemble de ses films mettent en scène des éléments y faisant sérieusement penser. Dans certains de ses films les plus sombres, c'est l'homme dans ce qu'il a de plus mauvais, de plus difficilement compréhensible, de plus répréhensible qui est étudié. On pensera ici d'abord à Prisoners, Enemy et Sicario, les deux premiers mettent en scène Jake Gyllenhaal qui excèle dans des rôles psychologiquement ardus, comme il l'a fait dans le dérangeant Nightcall en 2014. Ce sont des rôles où la limite entre le bien et le mal est souvent délicate, où les thèmes de la violence et des pulsions psychiques sont particulièrement bien étudiées. Sicario par exemple ravit par son aspect très réaliste quant aux violences générées par les cartels au Mexique, qui sont de très bons exemples d'éléments sombres qui sont ancrés dans un présent générationnel. Car si Denis Villeneuve est un cinéaste du futur, le passé n'est évoqué qu'à travers les souvenirs ou les rêves difficiles à reconstituer (Blade Runner 2049, Incendies) et le présent joue un rôle considérable, dans la mesure où il demeure une réminiscence du passé et qu'il est nécessaire pour penser l'avenir.
Cet attrait pour la nature humaine se retrouve aussi exploré à travers une oeuvre globalement humaniste : Villeneuve cherche à expliquer l’inexplicable, à démêler les fils de l'existence, à tirer les ficelles de la vie. Ceci est particulièrement visible dans Incendies, où Jeanne Marwan (Mélissa Désormeaux-Poulin) et son frère se lancent à la recherche de leur père et de leur frère après de le décès de leur mère, mais aussi dans Enemy où la question de l'alter-ego est fondamentale. Blade Runner 2049 s'articule comme une quête d'identité universelle grâce au travail d'enquête de l'agent K (Ryan Gosling) sur les pas de Rick Deckard (Harrisson Ford). Dans Premier Contact, la linguistique, la remise en cause de l'anthropocentrisme au sein de l'univers font l'objet d'une mise en scène rondement menée tout en évoquant la question de l'influence du passé sur nos interactions futures.
Denis Villeneuve et le cycle passé-présent-futur
Le canadien a tendance, depuis ses débuts, à se démarquer du reste des réalisateurs pour plusieurs raisons qui lui sont propres. On pourrait d'abord noter qu'il reste un réalisateur qui, comme Nolan, est complexe et parfois déroutant (Enemy, Premier Contact, Blade Runner 2049) car il a tendance à laisser intentionnellement des zones d'ombres au sein de son oeuvre, permettant d'y insérer une interprétation plus libre. Depuis la réalisation de Premier Contact, Villeneuve se plaît dans la science-fiction. Mais plutôt que de s'y attaquer par le biais d'une lecture normale, Villeneuve choisit d'emprunter la voie métaphysique afin de questionner quelques-un des fondamentaux de l'humanité comme dans Premier Contact. Ayant accepté de tourner la suite de Blade Runner, il se lançait dès 2016 dans un défi monumental en raison de l'importante attente de la part de la communauté de fans. Le résultat, de grande qualité, permet d'entrevoir une complexe réflexion sur la quête du soi, l'importance des souvenirs, le caractère friable de l'identité et sur les relations humaines. Tandis que Blade Runner en 1982 mettait en oeuvre le "rétro-futurisme" à la sauce Ridley Scott, Blade Runner 2049 choisit plutôt de mettre en images un futur plus authentique, plus proche d'une réalité qui, en 2019, apparaît comme potentiellement réalisable : un monde tiraillé par le réchauffement climatique, la pollution, la cupidité et l'avarice. Le monde de Blade Runner 2049 et dépeuplé, contrairement au premier volet, ce qui implique une vision d'autant plus pessimiste laissant une place plus grande à l'idée d'apocalypse climatique. Ces éléments demeurent en conséquence fortement influencés par un présent cher à Villeneuve, alors que Ridley Scott préférait puiser ses inspirations dans un passé sombre, ténébreux, pluvieux grâce au travail de Philip K Dick.
Si nous allions encore plus loin, la récurrence des couleurs chez Villeneuve est cruciale : le jaune, le orange est souvent présent (Incendies, Enemy, Sicario, BR : 2049). Le noir est aussi fortement présent (Prisoners, Premier Contact). La gamme orangée fait penser à l'avenir ( le soleil, l'horizon, le renouveau donc le futur), tandis que le noir imbibe une vision plus ténébreuse, celle d'une remise en cause des évidences, d'une essence peut-être profondément violente de l'homme.
Denis Villeneuve, cinéaste touche-à-tout
Après des débuts de carrière loin d'Hollywood, Villeneuve a prouvé qu'il est un réalisateur capable de s'aventurer sur des terrains hasardeux, quitte à prendre des risques considérables, en choisissant d'adapter des œuvres littéraires ou théâtrales lui évoquant certaines faits qui lui sont chers. En neuf films, le canadien a prouvé qu'il est apte à réaliser plusieurs types de films, qu'il s'agisse de drames, de thrillers, de films de science-fiction. A chaque fois, l'oeuvre propose son lot de twists retournant les esprits et cherchant à perdre le spectateur dans les confins de sa pensée, de ses souvenirs en évoquant des éléments universels. Denis Villeneuve est ce qu'on appelle un cinéaste touche-à-tout, s'entourant d'équipes de qualité. Au long de sa carrière, ses acteurs ont été choisis avec soin, permettant dans certains cas de leur octroyer un élan de popularité comme Jake Gyllenhaal (Prisoners, Enemy). Parmi la liste d'acteurs de choix, nous retrouvons Josh Brolin, Benicio Del Toro, Mélanie Laurent, Ryan Gosling, Hugh Jackman, Harrisson Ford, Amy Adams... Nous aurions pu ajouter l'artiste David Bowie qui aurait dû tenir le rôle conféré à Jared Leto dans BR : 2049, mais sa disparition tragique l'en empêcha.
La chose se confirme au niveau des équipes techniques : le grand directeur de la photographie Roger Deakins a travaillé l'image de Prisoners, Sicario, Blade Runner 2049. C'est à lui que l'on devait déjà un nombre considérable de réalisations aux côtés des frères Coen, Scorsese... Les partitions musicales sont souvent l'oeuvre de pointures : Grégoire Hetzel, le regretté Jóhann Jóhannsson, Benjamin Wallfisch ainsi que Hans Zimmer. Ceux-ci harmonisent l'oeuvre en proposant régulièrement une partition planante et futuriste.
Enfin, son talent de réalisateur et scénariste lui permis de participer au Festival de Cannes en tant que membre du jury pour les longs-métrages, en 2018, après avoir reçu plusieurs oscars pour ses réalisations.
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