A l'occasion du triomphe en salles du film Joker, nous consacrons un portrait à son acteur principal, qui incarne l'un des personnages les plus dérangeants et perturbants de l'histoire du cinéma : Joaquin Phoenix. Frère de River Phoenix, mort prématurément à l'âge de 23 ans, le natif de Puerto Rico demeure l'un des plus grands talents de sa génération. Plusieurs collaborations ont notamment permis d'exprimer avec vigueur sa capacité à incarner des personnages troublés. On appréciera en conséquence sa capacité à incarner des rôles délicats, difficiles et parfois même éprouvants. Comédien investi, ce dernier est capable de transformations physiques considérables, d'une moindre mesure que son compatriote Christian Bale habitué aux extrêmes. Retour sur sa carrière jusqu'à présent.
"I always have the fear that, if I don't commit 100 percent to my work, then it's gonna suffer" "J'ai toujours la peur que, si je ne m'investis pas à 100% dans mon travail, cela va se ressentir"
A bien des égards mais dans une moindre mesure certaine, Joaquin Phoenix se rapproche considérablement de Robert de Niro qu'il croise ainsi dans Joker.
L'enfance de Joaquin est difficile. Déménageant régulièrement, le jeune homme perd souvent ses repères, accompagné de ses frères et de sa sœur. Ses parents, membres de la secte des "enfants de dieu", sont de mauvaise influence sur cet homme en devenir. Cela ne l'empêche pas de faire ses premiers pas dans le petit écran relativement jeune. A seulement une dizaine d'années, il apparaît dans des séries télévisées ainsi que dans quelques films à petit budget. En 1982, il obtient son premier vrai rôle d'acteur dans une sitcom américaine. Il a 8 ans. Son cercle familial, composé notamment de son frère (River), sa soeur (Summer) mais aussi son autre frère (Rain) l'invite à exprimer sa créativité. Il s'oriente vers le cinéma. En 1993, sa vie bascule lorsqu'il assiste, impuissant, à une fatale crise d'overdose de son frère alors que tous les deux sont à Los Angeles, dans un club tenu par Johnny Depp. Ce moment le marquera à jamais. Il lui faut de longs mois avant de reprendre son métier : Gus Van Sant, ayant déjà dirigé River en 1991 dans My own private Idaho, décide de lui accorder aux côtés de Nicole Kidman et Matt Dillon, un rôle de second plan : c'est toutefois pour le jeune homme le début d'un parcours d'acteur qu'il décide de suivre avec vigueur. Qu'il s'agisse de rendre hommage à son frère décédé ou de laisser enfin libre cours à son instinct de comédien, Joaquin Phoenix s'immisce doucement dans le monde des productions cinématographiques américaines. A la toute fin des années 1990, le jeune adulte cherche à incarner des rôles plus affirmés, plus puissants et psychologiquement plus marqués. Il collabore avec Vince Vaughn à deux reprises, avant de se préparer pour l'un des rôles de sa carrière à l'orée de notre siècle. Ridley Scott, réalisateur britannique de talent, d'ores et déjà remarqué pour plusieurs de ses réalisations (Les duellistes, Blade Runner, Black Rain, 1492...) décide en 2000 de s'imposer un défi de taille en revisitant le genre du péplum.
Son film, Gladiator, est exemplaire sur le plan de la réalisation et de l'interprétation, porté par Russell Crowe et... Joaquin Phoenix. Ce dernier, incarnant le personnage historique (refaçonné pour les besoins scénaristiques du film discutable d'un point de vue historique) culmine dans sa jeune carrière grâce à son rôle de l'Empereur Commode, personnage troublé, paranoïaque et mégalomaniaque. Son engagement pour ce rôle est tout à fait considérable, Phoenix souhaitant rendre son interprétation la plus fidèle possible. Incontestablement, ce film constitue la première grande impulsion dans sa carrière d'acteur.
"I don't walk around like I'm a movie star because I don't think of myself as a movie star. People usually don't even notice me."
"Je ne me ballade pas comme si j'étais une star de cinéma parce que je ne me considère pas comme tel. Les gens habituellement ne me reconnaissent même pas."
C'est pour lui le début d'une carrière qu'il continuera tout au long des années 2010, timidement mais en poursuivant toujours ses objectifs d'une interprétation juste et sincère. A bien des égards, son travail peu être tout à fait considéré comme de qualité dans les films tels que Hotel Rwanda, injustement méconnu du grand public mais qui porte Phoenix vers de nouveaux horizons interprétatifs.
N'oublions pas Walk the line de James Mangold, biopic sur le chanteur de country américain Johnny Cash, qui lui vaudra un golden globe en 2005. On ne saurait oublier la fructueuse collaboration entre Phoenix et James Gray à partir de de 2007 qui saura parfaitement exploiter les qualités de l'acteur obtenant les premiers rôles : Dans La nuit nous appartient, dans Two Lovers, réinterprétation du mélodrame grâce à une déchirante mise en scène et une dualité de Phoenix exceptionnelle.
Il trouve, le temps d'une pause, les chemins de la caméra du brillant Casey Affleck (Gone, baby gone) reconverti en cinéaste le temps de tourner un documenteur sur son ami Joaquin Phoenix : I'm still here. Trois ans plus tard, ce dernier retourne vers des pointures et en particulier Paul Thomas Anderson. Qui de mieux pour jouer un ancien combattant moralement déchiré que Phoenix ? Un rôle pur PTA, même si The Master n'est pas le plus grand film de son auteur mais convinc tout de même grâce à d'indéniables qualités tant sur la réalisation que sur l'interprétation. L'acteur y tient là l'un de ses plus grands rôles. Phoenix est ambitieux et aime les projets qui rompent avec les codes habituels : il s'embarque tour à tour chez Gray (The immigrant), puis à nouveau chez Paul Thomas Anderson encore (Inherent vice, déjanté). Il faudrait surtout se rappeler son premier rôle dans le film de Spike Jonze, plutôt habité aux clips musicaux et aux spots publicitaires dans Her, petit bijou d'anticipation, magnifiant Phoenix à l'écran.
Film à l'atmosphère étrange, aux couleurs pastels et au scénario très original, Her est une grande réussite, qu'il conviendrait d'expliquer plus en détails.
Enfin, les dernières années sont, pour Joaquin Phoenix, synonyme de succès et de renom. En 2015, il tourne aux côtés d'Emma Stone pour le compte de Woody Allen dans Un homme irrationnel, partage l'affiche des Frères Sisters de Jacques Audiard, maigre succès au box office mais oeuvre soignée et ambitieuse (voir le review sur le blog).
Mais, incontestablement, c'est en 2019 que l'acteur devient celui que tout le monde veut s'arracher à prix d'or. Joker fait de lui une immense star internationale, surfant sur tous les box-office. Très attendu, le film n'est pas moins qu'une réussite intégrale, marchant sur les pas de Martin Scorsese et sa filmographie inspirante, et la réception mondiale est la preuve que le talent de Phoenix n'a pas de frontières. Méprisable pour les uns, génial pour les autres, Joker défraye la chronique depuis de longues semaines et la route à l'Oscar ne fait que commencer pour celui qui envisageait il y a plus de deux décennies de là d'arrêter sa carrière au cinéma à cause de la mort de son frère.
Souhaitons simplement que Joaquin Phoenix ne s'arrête pas là et nous propose de nouveaux projets.
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