Le mois d'octobre marquera les vingt ans d'un film inscrit au fer rouge dans le panthéon de la pop culture. Le talentueux David Fincher (Se7en, Zodiac, The Social Network, Gone Girl) a su faire de l'oeuvre originale (roman publié initialement en 1996) une petite pépite de satire sociale à travers le regard du protagoniste (sans nom), incarné par Edward Norton. Fight Club reste et restera culte pour bien des raisons, que nous essayerons de résumer ici... (Attention, spoilers)
Fight Club, un film punk aussi violent que la société qu'il conteste
Vous n'avez pas aimé Fight Club ? C'est peut-être parce que son message ne s'adresse pas à n'importe qui. Échec en salles à sa sortie, l'épopée du DVD dès le début des années 2000 est parvenue à l'imposer comme un film important parce qu'au final, profondément ancré dans la société contemporaine. Sombre, à la photographie terne et inquiétante, le film correspond d'abord à la remise en cause d'une société de l'endoctrinement, du "bourrage de crânes". En cause, les multiples messages subliminaux qui arborent le paysage visuel de chacun des individus. Parmi-eux, le narrateur sans nom incarne finalement tout un chacun. Pourquoi ne pas lui donner de nom ? Il demeure une page blanche, que chacun doit s'approprier. Dénonçant la crédulité de la masse consommatrice, Fight Club use de la violence comme medium privilégié pour avertir d'une société aux effets pervers. Tout y est :
"La pub nous fait courir après des voitures et des fringues, on fait des boulots qu'on déteste pour se payer des merdes qui nous servent à rien !"
Cette violence s'incarne par de nombreux passages déroutants, dérangeants. L'alter-ego du narrateur, Tyler Durden, avertit régulièrement des méfaits des carcans imposés par les multinationales et autres pourfendeurs du libre-arbitre de l'homme, devenant finalement un pantin répondant à des besoins non nécessaires mais générés par la publicité abondante, la télévision. L'homme de Fight Club n'est autre prisonnier d'une cellule sociétale, se croyant pourtant libre se chacun de ses actes.
"Ce que tu possèdes finit par te posséder"
Ce que dénonce également avec virulence le film est d'ordre purement esthétique, avec un cynisme diabolique (mentionnons les savons en graisse humaine...). Les deux personnages principaux sont diamétralement opposés sur le fond et la forme : le narrateur possède une allure tout ce qu'il y a de plus banal, un col blanc sans relief, sans courage, bonimenteur et profondément égoïste. Tyler Durden est tout l'inverse : physique sculpté, puissance physique et psychologique, pensant déjà à l'avenir d'une société vérolée plutôt qu'à son propre chef, pour finalement imposer une "planète Fight Club", véritable réseau de clubs de boxes à travers le territoire et faire régner le "Chaos".
Fight Club est sans aucun doute le film punk de la fin du siècle par excellence.
Fight Club, une réflexion identitaire profonde
Il paraît absolument indéniable que le film s'impose, dans un sens d'avantage plus profond et aussi grâce à son twist final majestueux, comme une réflexion déconcertante sur la construction de l'identité de l'individu, sur la question de la liberté et de l'anarchie. Le film fait en conséquence allusion aux théoriques de certains philosophes comme Platon et Aristote : la liberté dans la polis, le libre-arbitre dans la démocratie. Sans être une invective contre le régime politique (ce qui est d'ailleurs un bon point qui aurait sûrement emmené le film sur un terrain beaucoup plus hasardeux), Fight Club montre le cheminement d'un individu conditionné vers une liberté qu'il tente de rétablir par lui-même, en créant un surhomme Nietzschéen : Tyler Durden. La démocratie suppose la liberté, mais les lois de celle-ci conditionne la liberté. La profondeur du récit du film est l'un des points les plus importants, et rares sont les films à atteindre une telle qualité scénaristique. Pour redevenir libre et quitter son statut "d'objet" de la société de consommation de masse, il doit faire de nombreux compromis, et notamment celui de rompre avec sa propre identité. La réflexion identitaire du film est rondement menée et ce grâce au personnage du narrateur atteint de troubles identitaires largement visibles. Ces troubles de la personnalité l'obligent à emprunter des chemins délicats, se créant dès lors une réalité parallèle dans laquelle il serait libre. Parce qu'il est un pur produit de la société de consommation, le narrateur poursuit la déconstruction de son identité lorsqu'il se dote de prénoms qu'il trouve dans des journaux comme celui de "Jack", s'invente un cancer des testicules pour participer à un groupe de dialogue dans le seul objectif d'en finir avec son insomnie. N'étant plus que le fantôme de lui-même, le narrateur nous met face à nos propres obsessions, aux démons qui nous hantent quotidiennement, y compris les plus gênants.
Plusieurs scènes sont particulièrement importantes, notamment celle de l'acide qui marque un tournant psychologique considérable, où le double du narrateur va à partir de là aller au-delà de la moralité pour imposer une nouvelle société basée sur la violence immorale, la perversité. Le Fight club, pourtant bridé par des règles précises, sorte de lois à ce régime parallèle cathartique, se transforme à son tour en un pur produit victime de la société de consommation, tendant à devenir un véritable business et surtout une organisation terroriste radicale "Chaos". Finalement, Fight Club est une marche vers la conscience, celle de soi-même. Le narrateur atteint de troubles psychologiques finit par avoir conscience de lui-même et de son état et sa réalité parallèle finit par s'effondrer pour laisser place à "la vraie réalité" le laissant face à ses actes criminels.
Une merveille d'interprétation, des rôles gravés dans le marbre
Fight Club plaît aujourd'hui non seulement en raison de sa réflexion bien menée, mais aussi et peut-être surtout parce que les tenants des rôles principaux excellent tout particulièrement à marteler le message du film et à induire le spectateur en erreur. Brad Pitt, dont le talent n'est plus à affirmer, tient ici probablement le meilleur rôle de sa carrière, grâce à une conviction bien visible et à un charisme implacable. Tyler Durden n'aurait certainement pas eu la même profondeur sans le travail à l'écran de son interprète. Ce personnage, véritable "surhomme" ou plutôt "ubermensch" tel que théorisé par Nietzsche possède un statut particulièrement élevé aux yeux du narrateur, lui permettant d'aller au-delà se sa propre condition d'homme : le narrateur donne tout de son être pour permettre à Tyler d'être plus puissant à commencer par les combats dans le Fight Club : Sa condition physique se dégrade à mesure que celle de Tyler ne fait que de s'améliorer.
Edward Norton, acteur très prisé dans les années 1990/2000, tient là aussi un rôle majeur dans sa carrière. Campant un "monsieur tout le monde" sans nom, cadre moyen à l'esprit formaté par la société, l'acteur est convaincu de son personnage qui s'adresserait non pas aux adolescents mais plutôt à une génération de trentenaires nés entre la fin des années 1960 et les années 1980, qui ont évolué dans une société où la mondialisation a profondément modifié leur manière de concevoir le quotidien, notamment par le renforcement des technologies comme la télévision, l'informatique, les écrans. Créant de toutes pièces le Fight Club, il montre que cette violence nécessaire est émancipatrice dans une société conditionnée, où les libertés sont restreintes de manière permanente. Le club, n'est autre que la résistance à cette condition, là où se forge un ordre nouveau. Mais plutôt que d'adopter complètement l'idée d'un basculement de la démocratie vers un ordre fasciste/anarchique, le film et le narrateur ne font qu'en soumettre l'idée en laissant au spectateur la possibilité d'en faire sa propre idée au vu du parcours du personnage principal.
Enfin, n'oublions pas le rôle important d'Helena Bonham Carter, seule figure féminine présente dans le film, que le narrateur rencontre lors de l'une des séances de discussions pour malades atteint du cancer des testicules...et la brève apparition du chanteur et acteur Jared Leto.
Une superproduction de fin du siècle
Imaginez que vous êtes en 1999, réalisateur déjà reconnu et que vous devez conclure le siècle qui a vu se démocratiser le cinéma. Délicate tâche, sans aucun doute, pour le cinéphile qu'est David Fincher. C'est probablement pourquoi en définitive Fight Club demeure une superproduction au budget aisé (63 millions de dollars pour un budget initial de 23 millions) et aux artifices visuels réguliers. Le réalisateur, conscient de l'importance de son oeuvre, demande à Norton et Pitt de prendre régulièrement des cours afin d'apprendre différentes techniques de combat. Les scènes violentes sont chorégraphiées, mais les acteurs prennent part à une certaine improvisation afin de rendre le tout plus fluide, plus réaliste, plus vrai. Le travail de production et de post-production est relativement important et le tournage, souvent de nuit, délicat. Les effets spéciaux demandent, pour certains, plusieurs mois de conception, à commencer par le générique d'ouverture. Enfin, David Fincher exploite des techniques de travail récentes, comme il a pu le faire dans Alien 3 et Se7en.
Faisant appel à un florilège d'effets spéciaux et de techniques de maquillage, Fincher permet la création d'un film singulier et marquant continuant d'alimenter la littérature et à l'influence culturelle considérable. On mentionnera notamment les dernières projections dans quelques salles parisiennes mais aussi le"Rockyrama papers" numéro 2 consacré au film.
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