Si 24 images par seconde suffisent pour générer des émotions d’une profonde intensité, 24 mots ne suffiront jamais pour décrire toute la préciosité de l’Art dans son ensemble. Fondement certain d’une société culturellement et socialement épanouie, l’Art demeure un miroir permettant à l’homme de refléter ses défauts, ses qualités, son éternelle imperfection. De tous temps, l’Art accompagne l’Homme en tant qu’Animal social, politique (Aristote), en tant que mortel. Musiciens, poètes, littérateurs, peintres, dramaturges et maintenant cinéastes l'ont bien compris. De George Méliès à Kubrick, de François Truffaut à Quentin Tarantino, le cinéma rend émotif même l’homme dénué de tous sentiments. Introspectif, cathartique, jouissif, intime... Le septième Art demeure aujourd’hui l’un des moyens d’expression les plus privilégiés pour véhiculer des idées aussi fortes que triviales : J'aime à penser qu'un film n'est autre qu'un tableau mouvant, un poème vivant, là où s'entremêlent les sens pour ne former qu'un tout.
C’est d’un constat un peu banal qu’est né Passion Cinéma. Au fond, le cinéma est comme la littérature : il ne suffit pas d’aligner des mots pour créer un bon livre, comme il ne suffit pas d’aligner des images pour faire un bon film. Mais il y a, chez les grands auteurs et réalisateurs, cette vision unique des mots comme du non verbal, ce flair imperceptible qui les invite à créer quelque chose d’artistiquement cohérent. Un bon film est avant toute chose une oeuvre qui parle au cœur et à l’esprit - parfois même en l’absence de toute parole -, tout comme un livre génère ces “images” dans l’esprit du lecteur : “le voyage immobile” appelle-t-on la lecture.
Si un cinéaste ment 24 images par seconde comme disait Brian de Palma, c’est pour mieux éclairer cette vérité qui nous entoure, ce quotidien dans lequel nous vivons, par la mobilisation de nos sens pendant une durée oscillant entre quelques minutes et quelques heures. Ce travail sensoriel remet l’homme à sa place d’animal profondément sensible, incapable de maîtriser ses émotions. L’existence de l’homme n’est qu’au fond qu’une succession d’images qui le définissent, ces images-moments de la vie qui font de lui celui qu’il est. L'identité de l'homme se définit par sa mémoire, sur laquelle reposent ses souvenirs (fruit de l'empirisme de sa vie), qui jaillissent dans la tête sous la forme d'images. Le cinéma invite l’homme à se replacer par rapport à sa propre existence, à se questionner sur sa condition, sur ses pulsions, sur son inconscient, sur ce qu’il ne maîtrise pas, sur ce qu’il enfouit au plus profond de lui, et ce parfois de la manière la plus triviale possible. Que ce mensonge soit en noir-et-blanc, en couleur, en 4k ou en 3D, il met l’homme au pied du mur, il le met face à lui-même, à son histoire, à l’Histoire : “Demandes-toi qui tu es ! Qu’attends-tu de ton existence ? Il y a des rêves auxquels tu ne peux pas prétendre. Il y a des souvenirs que tu ne veux pas te remémorer.” Au contraire, le cinéma peut prétendre à se faire medium d’expression des évolutions sociétales : “Homme que tu es, ne vois-tu pas que le monde évolue ? Change et le monde t’aidera. Persévères et tu mourras. Ces rêves auxquels tu as rêvé depuis si longtemps sont ici, devant toi. Ne les vois-tu pas ? Prends-conscience de ce monde et tu auras conscience de toi-même et de ta place dans celui-ci”. Le cinéma nous invite donc à sortir de ce microcosme qu’est notre existence pour pénétrer dans un autre microcosme, celui d’une réalité fictionnelle. L’homme possède cette capacité de modifier le réel au gré de ses émotions et de ses ressentis. La réalité n’est pas la même selon les individus : elle est avant tout question de perception. Le cinéma se joue de cela : Quel intérêt, si tout le monde aime les mêmes films ? Ne vous êtes-vous jamais demandés pourquoi certains films vous touchaient plus que d’autres ? Peut-être parce que, y compris à travers un écran, la lumière qui pénètre vos yeux est tout aussi chargée de réel que celle que vous percevez au quotidien. C’est avant tout une question de sensible. Ma sensibilité a été touchée à plusieurs reprises. Peu de films m’ont ému jusqu’aux larmes. Certains y sont parvenus. D’autres ont failli.
J’ai découvert le cinéma grâce à Stanley Kubrick qui demeure aujourd’hui le cinéaste que je respecte le plus; dont l’aura de créateur et de metteur en scène est si puissante, qu’elle rayonne toujours sur la discipline. J’ai découvert mon amour du cinéma en visionnant quelques grands classiques de Truffaut, Hawks, Hitchcock, Clouzot, Tarkovski, Fellini, Bergman, Lang... puis en admirant le dévouement de certains contemporains comme Scorsese, Scott, Villeneuve, Spielberg, Winding Refn, Jodowrosvki, Tarantino et bien d’autres : leur volonté de faire du beau, de faire du sens, de prolonger le film bien après les crédits, en d’autres termes, de faire de l’art. Etre artiste n’est pas une chose simple de nos jours, mais ô combien y sont parvenus, le temps d’un film, le temps d’une carrière, gravés pour l’éternité.
Plusieurs films ont été de véritables révélations dans ma jeune vie. Parmi-eux Blade Runner. Il s’agit bien là du seul film dont je ne me lasse pas et dont la profondeur narrative et visuelle est si grandiose que je le considère comme le plus grand film de science-fiction jamais créé depuis les années 1950. D’un pessimisme immense, Blade Runner possède cette dimension mystique que très peu de films possèdent de nos jours. Faire du métaphysique paraît si simple grâce aux blockbusters : mais quand tout était fait à la main, comme dans 2001 l’Odyssée de l’Espace ou dans Blade Runner, c’est totalement autre chose. Dans ces deux films, bien qu’il s’agisse que de pure science-fiction (et pourtant !), il s’agit bien de cinéma-total. J’aime parler de cinéma-total, ce cinéma qui est capable de mobiliser (presque) tous vos sens et votre sensibilité en quelques heures. Dans 2001, l’esprit tout entier est mobilisé devant les images nées de Kubrick. Musique, décors, images, interprétations : Rien n’est dit, mais tout est signifié. C’est ce pouvoir fascinant de dire tant avec si peu de paroles qui m’a permis d’apprécier, de me délecter de chacun des plans d’un film, quelle que soit sa date de sortie ou son réalisateur. C’est cet œil, si apprécié de Kubrick, de Dario Argento, de Ridley Scott, ce miroir de l’âme humaine, qui se retrouve comblé. Par cet œil, quelques réalisateurs sont parvenus à accéder au tréfonds de l’âme du spectateur... Quel pied ! Un film parle aux yeux et aux oreilles autant qu’il parle à l’âme. C’est pourquoi j’ai à cœur les réalisations travaillées tant sur la forme que sur le fond; notamment du côté des images, de la photographie : images léchées, couleurs puissantes, cadrages millimétrés, plans techniquement délicats... C’est notamment dans le Giallo de Bava et d’Argento que nous retrouvons certains de ces éléments-là, parfaitement réalisés, puis chez d’autres comme Jeunet, les frères Cohen, Wes Anderson, David Lynch, Paul Thomas Anderson par exemple, ainsi que à certains directeurs de la photographie comme Darius Khondji, Roger Deakins, Bruno Delbonnel, Janusz Kaminski, Robert Elswit, Nestor Almendros et quelques autres.
Dans Blade Runner, la bande-originale de Vangelis est l’ultime prolongement sonore des images, comme dans 2001. Il y a de ces bandes sonores qui tiennent en otage les oreilles sans relâche : Chez Michel Legrand, Georges Delerue, Ennio Morricone, Nino Rota, Hans Zimmer, Jerry Goldsmitsh, Cliff Martinez... C’est souvent le cas. Je me souviens de l’atmosphère générée par ce dernier dans Drive de Nicolas Winding Refn, du travail entre Rota et Fellini, entre Rota et Coppola. Tout le monde a en tête la partition de Interstellar, et puis plus récemment de La La Land, de Howard Shore pour le Seigneur des anneaux ou bien encore le travail du guitariste de Pearl Jam, Eddie Vedder dans Into the wild. L’absence de dialogue se retrouve rapidement comblée par une musique générant un paysage mental propre au film.
La nécessité de partager ces coups de cœur cinématographiques est née de l’ambition de créer un répertoire des films de ma vie. J’ose ici reprendre le titre du livre de François Truffaut paru en 1975. Mais tel est le cas : les films que je présente ici sont tout bonnement ceux que je considère comme les meilleurs dans leur domaine. Bien-sûr, qui suis-je pour oser les critiquer ? Pour qui me prend-je pour oser décortiquer ces créations originales ? Ne faisant ni des études d’histoire de l’art, ni de cinéma, cela peut paraître être un pari fou et prétentieux. Si mon avis n’engage que moi, il est surtout éminemment subjectif : Je passe chacun des films à travers le filtre de ma propre sensibilité afin d’en tirer des conclusions qui n’ont pour seules ambitions que d’éclairer, de donner envie, de susciter une certaine curiosité. En fin de compte, nous faisons tout cela : encore faut-il avoir l'envie de l'écrire. Je pense qu'écrire est aussi important que de lire ou de regarder. Il y a des émotions qu'on ne peut toujours exprimer oralement, certaines choses sont quasi indicibles. Pourquoi ? Parce qu'elles touchent les tréfonds du sensoriel. Elles proviennent d'un endroit que nous-même ne maîtrisons pas.
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